Partenariat entre marques et fournisseurs, et si on s’y mettait vraiment ?

Partenariat entre marques et fournisseurs, et si on s’y mettait vraiment ?

En septembre 2021, Chamatex inaugurait sa toute nouvelle Advanced Shoe Factory 4.0, relocalisant ainsi une partie de la production de ses chaussures de sport en France. Et, fait marquant, trois de ses plus importants clients, dont Salomon, sont devenus partenaires actifs en s’associant au capital.

Alors que beaucoup de marques déclarent développer des relations de partenariat avec leurs fournisseurs, elles sont loin de ces pratiques et continuent à exploiter les rapport de force donneur d’ordres – fournisseur en leur faveur.

Face aux successions de crises, il est temps de s’assoir autour de la table de bâtir de véritables collaborations basées sur l’échange, l’écoute et le respect mutuel.

Les freins pour y parvenir sont nombreux, le repli des entreprises sur elles-mêmes, la difficultés à maîtriser l’évolution des coûts et les métiers des achats qui doivent trouver une place de véritables contributeurs à la valeur de l’entreprise.

Quelles sont les pistes pour surmonter ces obstacles ?

 

L’individualisme des entreprises revient au galop

Pour Frédéric Lener, « s’il faut parler partenariat, il faut parler valeurs ». En effet,  la société Lener emploie 260 personnes en Ukraine dans des ateliers toujours en activité malgré la situation dramatique de la guerre. Et si la solidarité des clients a été spontanée et généreuse lorsque la société a affrété des camions de dons, ces « partenaires » ne sont pas tous au rendez-vous lorsqu’il s’agit de soutenir l’économie locale en plaçant avec lucidité la fabrication de leurs produits en Ukraine. 

Finalement la solidarité de la période Covid semble n’être qu’une parenthèse et l’individualisme des entreprises revient au galop. Le partenariat marque – fournisseur se résume encore trop souvent à des relations de pouvoir en sens unique, avec un seul objectif, le prix d’achat.

 

Les fournisseurs, de leur côté, attendent davantage d’échange et de partage d’information de la part de leurs clients. Il est temps que les acheteurs les rencontrent de nouveau physiquement, dans les ateliers ou les usines, rien de tel pour comprendre le produit dans son contexte de fabrication.

Les marques capables de s’engager au-delà de la simple commande à la saison et de donner des prévisions à leurs fournisseurs, enverront des signaux positifs. Cela passe par des réservations de matières et de capacités de fabrication par saison et à moyen terme.

Enfin, comme le souligne Frédéric Lener, les marques se doivent d’être exemplaires dans l’application de leur politique RSE vis-à-vis de leurs fournisseurs. Elles leur demandent de répondre à des cahiers des charges stricts,  mais doivent également se comporter de manière respectueuses, sans chercher à profiter de leur position dominante de donneur d’ordres.

Maîtrise des coûts et transparence

Dans le contexte actuel inflationniste, les marques attendent de leurs fournisseurs qu’ils maîtrisent les coûts de production et proposent des améliorations par exemple liées au développement des produits ou à l’efficacité de leur production.

La transparence et la décomposition des coûts, partagée avec les marques, permet d’isoler la part matières et transport, et donc de communiquer plus ouvertement sur les évolutions de prix. Et l’acheteur pourra analyser avec le contrôle de gestion interne  l’impact  des variations de coûts sur les marges et la trésorerie.

Pour répondre au mieux aux attentes des consommateurs, les marques développent plus d’agilité et de réactivité, elles recherchent le même état d’esprit chez leurs partenaires : ont-ils une démarche claire d’amélioration continue, au-delà du respect des audits et des cahiers des charges ? Sont-ils force de proposition ?

Revaloriser le métier des achats dans l’entreprise

Encore trop souvent le service achat est considéré comme un « pousseur de commandes » ou comme un « magicien » qui va développer et faire fabriquer des produits avec toujours plus d’exigences sur le design, la qualité, la RSE, dans des délais toujours plus courts avec des prix équivalents, voire plus bas.

Le capital fournisseur, au même titre que le capital client, est une valeur importante pour les entreprises. Les achats sont-ils en mesure de mettre en place des contrats équilibrés avec leurs fournisseurs stratégiques et d’entretenir cette relation dans le long terme en devenant le client préféré de leur fournisseur ?

C’est à la direction de l’entreprise d’initier le mouvement pour faire évoluer le positionnement des achats en incitant la collaboration des achats avec les autres services : les achats sont l’affaire de tous , et la marque doit parler d’une seule voix à ses fournisseurs.

Par exemple, en amont des projets, avec le style pour rester vigilant sur les matières sélectionnées et avoir suffisamment de temps pour identifier les bons partenaires et la bonne technologie. Ou avec le marketing afin de caler des prévisions de planning d’implantation et de quantités pour réserver les matières et anticiper les plannings de production.

Enfin, comme le préconise Cristina Fernandez, il est nécessaire de sortir l’acheteur d’une simple fonction de négociateur des coûts et délais et de lui donner les moyens de devenir un spécialiste de son(ses) marché(s) fournisseur, qu’il soit en mesure d’identifier les fournisseurs stratégiques.

 

 

Les projets actuels des marques sont nombreux autour de l’écoconception, de l’upcycling, de la fabrication à la demande. Elles ont besoin de co-développer avec leurs fournisseurs et inscrivent ces collaborations dans la durée.

Dans ce cas un véritable partenariat prend son sens, dans la mutualisation des forces et des savoir-faire de chacun au profit d’un projet commun.

Flexibilité : quels changements dans le développement des produits de mode ?

Flexibilité : quels changements dans le développement des produits de mode ?

Volatilité de la demande, perturbation des chaînes d’approvisionnement, augmentation des prix, réduction des volumes d’achat, les challenges sont nombreux pour les acteurs de la chaîne produit. Tous recherchent le modèle idéal, à la fois flexible, rapide, responsable et orienté client.

La moitié des directeurs achats de 38 entreprises de mode européennes et américaines déclarent avoir entrepris des projets de transformation importants de l’organisation de leur supply chain en 2021 (Etude McKinsey de novembre 2021 sur le sourcing des entreprises de mode). Et cela ne concerne pas que le sourcing à proprement parler, mais bien toute la chaîne de développement et d’approvisionnement du produit, de la création à la production, en passant par le développement et le marketing.

Repenser l’organisation pour compenser la dégradation des marges

La pression sur les prix va se poursuivre en 2022, les évènements en Ukraine vont sans doute aggraver la situation.

Les marques, de plus en plus nombreuses à intégrer des matières durables et responsables dans leurs collections, flexibilisent progressivement leur sourcing en relocalisant des productions en Europe et en France. Tout ceci a un coût évident.

Il n’est pas acceptable aujourd’hui de répercuter la totalité des augmentations des prix d’achat sur le prix de vente consommateur. Quelles sont alors les solutions pour éviter une dégradation des marges ?

La première étape consiste à gérer plus finement les stocks et la démarque, en augmentant par exemple la part des ventes de produits non démarqués.

Mais cela n’est pas suffisant, il est nécessaire de repenser l’organisation tout au long de la chaîne produit afin de la rendre plus flexible et réactive. L’objectif principal est d’éviter les pertes de temps et les retards au planning, les rendez-manqués avec le produit « idéal », les produits développés et abandonnés, en un mot, améliorer l’efficacité de l’organisation.

 

Préciser les rôles et responsabilité de chacun

Les équipes produit travaillent encore beaucoup trop en silo, chacune dans sa spécialité, sans tenir compte des contraintes et des limites des autres intervenants sur le produit. Par exemple un produit mis au point au Studio, envoyé au fournisseur pour une cotation sera abandonné car trop cher. Le temps manque pour proposer une alternative ou une conception différente pour réduire la consommation de matière. Une consultation anticipée du fournisseur aurait permis d’éviter cet écueil et d’aller jusqu’au bout de l’idée créative à un coût acceptable pour la marque.

Je constate bien souvent, que cela se combine avec une vision floue de la responsabilité des uns et des autres et quand un problème se présente, personne n’intervient (ou trop tard), pensant que cela relève de la responsabilité du voisin.

Tout l’enjeu est de clarifier les rôles et responsabilités de chacun pour fluidifier les processus, intégrer des espaces collaboratifs dès la création du produit et tout au long de son développement, avec toutes les parties, y compris les fournisseurs. L’objectif étant de trouver la meilleure solution créative, qui réponde aux attentes du client final à un prix et un délai acceptable.

Respect et efficacité des plannings

La recherche de flexibilité entraine une complexité plus grande dans le management de la chaîne produit : analyses de la demande et des datas plus poussées et inputs vers la création, validation d’échantillons à distance, mutualisation des matières, pre-booking, mais aussi hybridation des modes de sourcing, fractionnement des commandes, réassorts en cours de saison…la liste est longue.

Tout cela nécessite de mettre en place une forte discipline de gestion de planning en interne et avec les fournisseurs, de définir des calendriers plus détaillés et de travailler sur les chemins critiques afin de réduire les lead times.

La digitalisation de la chaîne produit côté marques, mais aussi côté fournisseurs, va permettre progressivement de maîtriser la complexité de toutes ces données.

Sortir d’une logique de marge d’entrée.

Enfin, les marques continuent à porter plus de crédit au prix d’achat et la marge d’entrée par produit qu’à la marge nette globale.

Cela veut dire que les politiques visant apporter flexibilité et rapidité en relocalisant la production ou en fractionnant les commandes se heurtent inévitablement à l’accroissement des coûts. Tout cela empêche de mettre en place sereinement une organisation pilotée par la demande.

Les stratégies de sourcing doivent intégrer dans leur mix l’ensemble des coûts liés à l’achat d’un produit comme la part de vente hors démarque et le coût du stock résiduel. La solution de production à la demande Tekyn ou le démonstrateur On Demand for Good du CETI, proposent chacun une méthode de calcul pour simuler le gain de marge final, car c’est bien d’un gain dont on parle ici !

Cela peut aussi passer par le mode de calcul de la prime sur objectifs des acheteurs et chefs de produit qui pourra prendre en compte la marge finale, le stock résiduel et la rotation de stock, comme ce que nous pratiquions chez 1.2.3 il y a plus de 20 ans !

Les freins au changement sont nombreux et l’impulsion ne peut que venir de la direction générale de l’entreprise pour accompagner les équipes dans ces changements.

L’industrie de la mode a mis du temps avant de se préoccuper des « backstages de la mode ». Les investissements se sont concentrés sur la création, le produit, l’image et la communication. Cette crise et les profonds bouleversements de marché nous montrent qu’il est temps de se préoccuper de la chaîne de développement des produits et de l’organisation de tous les métiers qui y sont rattachés (création, développement, marketing-merchandising, achat, sourcing, qualité et production) en créant des espaces collaboratifs de décision, en partageant une vision de la marge globale et pilotant plus finement les plannings.