Le monde de la mode est en pleine ébullition. A l’heure de la première Fashion Week virtuelle et alors que le Covid a décalé le tempo des collections, beaucoup de décideurs s’accordent à dire qu’il est urgent de réinventer les calendriers de collection.
D’un côté, et à l’image des marques « digital native », il est urgent d’apporter plus de flexibilité et d’agilité aux entreprises de mode, pour qu’elles s’adaptent au plus juste à leur marché et aux incertitudes liées à l’évolution de la demande. Les collections ne peuvent plus être développées et achetées en un bloc, un an et demi à l’avance, le risque financier est trop important.
D’un autre côté, certains veulent ralentir le rythme effréné des collections et pré-collections implantées toujours plus tôt dans le but d’apporter encore plus de nouveauté : avoir plus de temps pour créer et donner du sens, allonger le temps de mise en vente des collections pour qu’elles soient plus visibles, proposer des produits dans leur juste saisonnalité.
Le calendrier des collections devient un véritable enjeu pour les entreprises de mode, il est un des maillons essentiels des stratégies de (re)déploiement.
Comment le calendrier du projet Moncler Genius a transformé l’entreprise Moncler
Fin 2017, Remo Ruffini décide de casser le cycle traditionnel de la mode basé sur deux grandes présentations annuelles aux Fashion Weeks et met en place un collectif de huit designers travaillant chacun sur une capsule. Ces capsules sont délivrées à un rythme régulier, environ une fois par mois.
L’objectif est double :
- Faire parler de la marque Moncler tout au long de l’année, et pas seulement pendant les Fashion Weeks. A chaque lancement de capsule un évènement riche en contenu éditorial est organisé, sous la houlette du designer qui prolonge ainsi son travail créatif.
- Cibler avec chaque capsule un public différent en âge, goûts, style et occasion de consommation
Mettre en place ce nouveau calendrier de collection Genius a été un véritable succès pour l’entreprise qui a amélioré significativement ses résultats financiers en 2018 : CA de 1,4 milliards d’euros, +19% à périmètre constant, Ebitda en hausse.
Moncler Genius ne génère « que » 10% du chiffre d’affaires global, le reste étant réalisé par la gamme classique. Ce nouveau modèle a permis de faire parler régulièrement et différemment de la marque et de développer l’attractivité de Moncler auprès de nouveaux publics : 50% des consommateurs de Genius sont de nouveaux consommateurs.
A travers ce projet, l’entreprise a été transformée : elle a développé une nouvelle dynamique collaborative et a amélioré son agilité opérationnelle :
- Le calendrier de « drops » est précis, des évènements importants sont organisés pour chaque lancement, dans le monde entier : le fonctionnement de la supply chain a été modifié pour assurer avec précision la livraison de tous les produits à une même date.
- Décevoir le client qui attend avec impatience la nouveauté n’est pas envisageable : tous les services – achats tissus, production, marketing, commercial, retail – ont dû travailler ensemble et coordonner leurs actions.
- Les demandes des designers, en développant des produits plus techniques, ont poussé les équipes à rechercher de nouvelles matières, de nouveaux savoir-faire, ce qui a élevé le niveau général d’exigence sur les produits.
Fragmenter l’offre
Remo Ruffini décide avec le projet Genius de fragmenter une partie de l’offre en capsules, afin d’apporter tous les mois de la nouveauté et de susciter l’intérêt des consommateurs.
Accélérer la mise sur le marché des produits nécessite de réinventer le calendrier de l’offre en séparant la partie « collection » de la partie « capsule » et définir, à chaque fois, le nombre de modèles concernés, la cible et la temporalité visées.
Pour beaucoup d’acteurs du secteur, l’introduction de capsules s’accompagne également d’une réduction des engagements d’achat décidés un an à six mois avant la mise sur le marché. Les achats des capsules seront échelonnés dans le temps et pour une part, réalisés après le démarrage de la collection. Cette méthode permet de garder une flexibilité en fonction des aléas du marché, elle a un véritable impact sur le BFR.
Réduire la part des produits soldés est également visé par ce type de dispositif. Les produits capsules seront achetés en petites quantité, adaptées aux périodes de vente prévues, afin de renforcer leur côté éphémère.
Pour les DNVB, fragmenter l’offre et la développer au fil du temps en fonctions des envies des créatifs mais surtout de celles des clients fait partie intégrante du business model.
Travailler deux temporalités dans la collection
En lançant Genius, Remo Ruffini conserve les gammes de produits historiques de la marque. On constate que l’évolution du chiffre d’affaires se fait principalement sur cette part classique de la collection qui bénéficie d’un nouvel attrait.
Il est possible de travailler deux temporalités dans les collections : collection et capsules, produits essentiels et produits mode, intemporel et temporel. Le calendrier de collection est ainsi à deux vitesses : une vision saison, voire au-delà de la saison pour les intemporels, et une vision à très court terme pour coller au plus près à la demande et travailler une différentiation forte.
Mettre en place une organisation agile et mixte permettra de travailler à ces deux rythmes en toute sérénité : Equipes dédiées ou pluridisciplinaires, retroplannings affinés, cadrages de collection et budgétaires précis et actualisés en permanence, doubles sourcings… Il est indispensable de définir une feuille de route claire avec une vision à long terme et des jalons identifiés de tous.
A ce stade les outils collaboratifs digitaux aussi bien internes que ceux ouverts aux partenaires externes sont primordiaux pour gérer cette complexité : accès immédiat aux données produit, vision globale des flux de création et de mise au point de produits., échanges fluides entre amont et aval de la chaîne produit, amélioration de la communication avec les usines et les fournisseurs.
Développer une vision à long terme au-delà de la saison
Vouloir raccourcir les délais de mise sur le marché des produits n’empêche pas les entreprises de mode de travailler leur collection également sur le long terme.
Les sujets d’innovation ou de développement durable nécessitent une vision qui va au-delà de la saison, ici les calendriers sont plus souvent à moyen ou long terme.
« Beaucoup de marques ont du mal à casser le temps des collections pour le temps de la RSE » explique Nathalie Lebas-Vautier, l’entrepreneure – dirigeante de Good Fabric : auditer une filière de production prend du temps, s’engager avec des partenaires fabricants nécessite de donner des prévisions sur plusieurs saisons ou années, développer une nouvelle matière nécessite le temps de la R&D.
D’ailleurs, bien souvent ces démarches sont mises en route de façon progressive et s’accompagnent de beaucoup de pédagogie et de formation.
A chacun son modèle hybride
Chaque entreprise de mode trouvera son propre modèle hybride et flexible entre réactivité à court terme guidée par la demande, collection saisonnière identitaire et produits essentiels dessaisonalisés.
Mais ce n’est pas parce qu’elle met un place un nouveau calendrier de collection, intégrant à la fois court terme et moyen/long terme qu’elle en devient de facto plus flexible et réactive. Réinventer les calendriers est un véritable projet d’entreprise qui implique d’insuffler des nouveaux modes opératoires, de faire travailler ensemble tous les métiers, d’accélérer la prise de décision en la décentralisant, … tout en préservant le temps incompressible de la création.