Avec la crise sanitaire, les entreprises de mode ont découvert l’importance stratégique de leur supply chain. La Chine est restée à l’arrêt pendant presque deux mois. Elle a été suivie par l’Italie, maillon essentiel dans le luxe et le haut de gamme, puis par le reste de l’Europe et le Maghreb.
Résultats : des productions à l’arrêt, des difficultés à rassembler tous les composants d’un produit pour (re)lancer les productions, des prototypages au compte-gouttes, des transports figés…
Ainsi, plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour repenser le modèle dominant de délocalisation dans les pays à moindre coût de main-d’œuvre. Une remise en question nécessaire qui permettra d’anticiper les prochaines crises en allant vers une supply chain plus flexible, plus résiliente et moins dépendante.
1083, le choix d’une filière locale, 100% française.
Pour Thomas Huriez, président de la société 1083, cette crise valide complètement son choix stratégique : reconstruire une filière locale, de la filature à la confection, avec une production répartie entre ses propres unités et auprès d’entreprises locales. Une volonté qui fait écho à l’identité de sa marque : 1 083km, c’est la distance maximale entre les deux villes de l’hexagone, alors qu’un jean parcourt traditionnellement 65 000km du début à la fin de sa vie…
Tous les bénéfices sont investis en R&D et pour développer une unité de recyclage de coton dans la filature maison (Tissage de France), située dans les Vosges. Le consommateur final, en renvoyant son jeans usagé, sera le dernier maillon de la supply chain, celle-ci deviendra alors circulaire.
Face à notre actualité, 1083 a d’ailleurs été l’une des premières entreprises françaises à reconvertir son outil de production pour fabriquer des masques. Ce mouvement de solidarité a permis de regrouper plus de 700 entreprises textiles françaises au sein de la plateforme « Savoir-Faire ensemble ». Un élan profitable au développement du Made in France et à la mise en place d’un travail de filière pour Marc Pradal (UFIMH, Kiplay). C’est notamment le choix de Bruno Nahan (Bugis) qui depuis 2 ans privilégie un écosystème local français et européen (limitrophe) pour une meilleure réactivité et une parfaite traçabilité de ses produits. Ainsi, en supprimant les intermédiaires, ce modèle montre qu’il est possible de fabriquer en France et d’être rentable.
Par quoi commencer ?
La relocalisation en France ou en proche import (Europe / Maghreb / Turquie) de tout ou partie de la production permet d’avoir une plus grande proximité avec ses fournisseurs, à la fois culturelle et géographique. Il est possible de leur rendre visite régulièrement et à moindres frais, de bâtir de vraies relations de partenariat, voire de codévelopper de nouveaux produits. Un process bien plus difficile et onéreux en Asie… Aussi, relocaliser c’est réduire le nombre d’intermédiaires et pouvoir retarder au maximum la prise de décision sur le produit et les quantités à acheter. C’est aussi réduire les risques liés aux fluctuations de la demande, améliorer la transparence de la chaîne d’approvisionnement et rassurer le client final. C’est sans compter que le transport est une variable plus facilement maîtrisable.
En faisant le choix de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, Thomas Huriez nous montre qu’il est important de mettre en place un réseau de fournisseurs. Ici on ne parle plus de « chaîne », mais bien d’un écosystème flexible et adaptatif en fonction des besoins et des variations du marché. Cela revient, par exemple, à mettre en place des sources de production alternatives pour les produits stratégiques afin de diminuer sa dépendance vis-à-vis de certaines sources d’approvisionnement. Chaque entreprise, en fonction de ses niveaux de risque, peut alors travailler sur un rééquilibrage de ses sources d’approvisionnement ou une relocalisation totale, tout en diversifiant son marché fournisseur. Plus le système est complexe, plus il faudra s’appuyer sur des outils de pilotage et de travail collaboratifs, élargis à la sphère des fournisseurs, afin de pouvoir piloter et opérer en temps réel.
Enfin, repenser sa supply chain c’est aussi adapter les collections aux contraintes d’approvisionnement. 1083 a décidé de relever un défi de taille en choisissant le jean comme produit emblématique, car c’est l’un des produits les plus démocratisés aujourd’hui… mais aussi le plus polluant ! Le délavage laser permet de réduire considérablement l’impact environnemental, mais limite aussi la gamme de délavage, du brut à l’indigo. Un choix qui ne l’empêche pas de développer son chiffre d’affaires et sa communauté de fans, et un exemple qui nous montre que travailler dans la frugalité et sous la contrainte pousse à toujours plus innover et à s’adapter en permanence.
En faisant le choix de relocaliser sans pour autant répercuter l’augmentation du coût de la main-d’œuvre sur le prix de vente, les entreprises doivent travailler sur l’analyse de la valeur de leurs produits, et faire des choix, sans perdre en attractivité et en créativité. Bien souvent, cela passe par un travail de fond sur la matière première et sa consommation, pour éviter les gaspillages, mais aussi sur la structure des prix de vente.
Un pas après l’autre
Vous l’aurez compris, même si la volonté est là, la question de la relocalisation et de son coût en freine plus d’un. Pour avancer, il est donc important de bien faire la différence entre le prix d’achat et le coût d’acquisition. Car c’est bien une vision à long terme qui doit s’imposer, même si les premières solutions à trouver sont à très court terme pour assurer la reprise de l’activité tout en préservant la trésorerie.