Développement de collection : pourquoi donner une place de choix aux basiques ?

Développement de collection : pourquoi donner une place de choix aux basiques ?

Pour beaucoup d’entreprises de la mode, la crise du Covid touche trois collections : la collection Printemps-Eté 2020 tout juste mise en vente, la collection Automne-Hiver 2020 partiellement livrée, la collection Printemps-Été 2021 en cours d’élaboration… Face à tant d’incertitudes sur l’évolution de la demande, le niveau des stocks ainsi que les tensions de trésorerie, il semble que pour le secteur, il ne soit plus possible de « faire comme avant », autrement dit, de développer les prochaines collections à partir d’une page blanche sans cesse renouvelée.

AMI : le choix d’une mode réaliste pour redémarrer sereinement

Le créateur de la marque AMI, Alexandre Mattiussi, confiait au journal Le Monde ne pas être inquiet quant à la reprise suite à la crise du coronavirus, et ce, malgré les vulnérabilités évidentes sur le plan économique qui sont à prévoir. En effet, celui qui fêtait il y a peu les 9 ans de sa marque opère depuis le début avec la même exigence : celle d’une démarche sincère vis-à-vis de son client final. Ainsi, tous ses produits sont étudiés pour être confortables et élégants, faciles à porter, à un prix accessible (positionné entre le mass market et le luxe). 

La collection s’articule autour de produits basiques, presque intemporels, actualisés subtilement par un détail, une couleur, une matière ou une proportion. Les tissus fantaisie sont rares, seulement quelques rayures, carreaux ou imprimés graphiques. De ce fait, la production est facilitée et plus simple à assurer que pour des produits plus complexes. Elle est réalisée principalement au Portugal et en Europe de l’Est et semble peu menacée par la crise actuelle. La seule modification pour les prochaines collections sera la fusion entre la pré-collection et la collection Printemps-Été 2021. Une décision de bon sens dans le contexte actuel et qui va permettre de rationaliser les efforts des équipes de création et de développement.

Cet exemple nous montre que, dans le contexte actuel, l’entreprise a su rester agile. Le choix de rationaliser le développement produit permet en effet de ne pas s’éparpiller en termes de création et de conserver la même ligne donnant une grille d’évaluation simple et exigeante au produit : simplicité, accessibilité, confort et modernité. De ce fait, AMI a su construire avec sa clientèle un vrai rapport de confiance au cours de ces 9 années. Des faits qui peuvent nous laisser supposer qu’il y aura peu d’incertitude sur les changements de comportement du consommateur à la reprise, car, même si la prochaine collection apportera de la nouveauté, elle restera toujours accessible et fidèle à ses valeurs. 

Aussi, à la suite d’échanges auprès d’autres marques du secteur, nous retrouvons cette ligne commune.

  • Jonak, par exemple, mise sur la prudence et le recentrage vers des produits raisonnables et essentiels pour les prochaines saisons.
  • Maison Standards qui développe des produits classiques et indémodable, au prix juste, espère une prise de conscience générale pour que les offres des marques évoluent dans le même sens : des prix justes et des produits de qualité.
  • Icicle, marque de luxe confortable, décontractée et chic, mise quant à elle sur son laboratoire de R&D pour mettre au point des matières éco-conçues, naturelles et durables.
  • Enfin Dualist, la jeune marque de parkas haut de gamme réversible et légère, a fait le choix de développer un seul produit décliné en plusieurs variantes : un vrai pari !  

Ces projets nous montrent que nous assistons en ce moment à une vraie tendance de simplification des collections basées sur des standards de mode. L’essentiel est dans la qualité, la justesse des lignes et le confort. C’est en quelque sorte, le contre-courant de la mode !

Identifier les produits intemporels et leur poids dans la collection.

Aussi, il est indispensable aujourd’hui de bien définir dans une collection ce qu’on appelle les intemporels, les basiques, les essentiels, les permanents, les « timeless ». Autant de termes pour définir ces produits qui constituent l’ADN de la marque et dont le volume varie d’une marque à l’autre. Il faut donc, comme l’a fait AMI, construire sa propre grille de lecture et y rester fidèle.

Les intemporels ont de nombreux avantages… Ils peuvent s’affranchir de la saisonnalité et donc, pour certains, être déplacés dans les prochaines collections, sans être soumis aux démarques. De même, ils peuvent être travaillés indépendamment de la collection en termes de timing, ce qui permet de lisser l’activité déjà intense des équipes. Ils font l’objet de partenariats solides avec les fournisseurs. Dans le cas de la marque AMI, la production se fait principalement en Europe. Cette proximité permet de sécuriser les approvisionnements en période de crise et apporte également plus de flexibilité pour la reprise.

De plus, bien connaître ses basiques et accepter de les retravailler d’une saison sur l’autre, permet aussi de recycler des stocks dormants de tissus (ou des tissus issus de commandes stoppées au démarrage de la crise), afin de ménager la trésorerie et de ne pas avoir de nouvelles matières à acheter.  

En période de crise, ce sont des « produits repères » pour les clients : ils rassurent et permettent de renforcer la relation avec la marque.

Se donner le temps de faire autrement

Enfin, en fusionnant la pré collection et la collection PE21, AMI fait le choix de réduire son offre vis-à-vis de ses acheteurs et de se donner plus de temps pour créer la nouvelle collection. Cette décision permet de rationaliser le développement de collection pour travailler plus en profondeur les produits. Cela permet aussi de prendre le pouls du marché post-confinement…

De même la créatrice Katia Sanchez, co-fondatrice Des Petits Hauts, revendique aujourd’hui avec sa marque Katia Sanchez, le développement d’un produit de qualité, s’inscrivant dans une démarche maîtrisée d’éco-conception. Les produits sont conçus pour durer au-delà des saisons.  En effet, cette course à la nouveauté initiée par la fast fashion a poussé les entreprises à multiplier les collections capsules, les collaborations et mini-collections. La situation actuelle où tout est à l’arrêt (ou presque) nous invite à davantage nous concentrer sur l’essentiel. Et si le moment était venu de faire un pas de côté quitte à prendre certains risques ?

Post-confinement : redonnons du sens à ce que nous portons

Vous l’aurez compris, toutes les marques de mode, quel que soit leur niveau de gamme, ont besoin de basiques ou intemporels dans leur collection. Ces produits doivent ainsi retrouver une place de choix dans les collections. Parfois mal-aimés par les équipes créatives, ils requièrent un travail en profondeur pour atteindre l’équilibre entre mode et fonctionnalité et pour pouvoir s’associer avec tous les produits de la collection : ils donnent du sens à la collection ! Et à l’heure où nous vivons une crise pleine d’incertitudes, ce retour aux sources semble essentiel et surtout, attendu.

Un grand merci aux professionnels qui ont apporté leur expérience et leur point de vue, ainsi que leur temps précieux : Agathe Cuvelier (Les Cachotières), Alexandra Mulliez (Adresse), Anne Anquetin (Passementerie Verrier Paris), Arpénik Movsisyan (Arni Arpe), Christine Feuchot (Maison Standards), Déborah Janicek (Dualist), Fabrice Vigano-Géry (F.Pinet), Fanny Airault (Gang of Earlybirds), Guillaume Gaveriaux (Maison Urbahia), Hélène Deparis (Gayaskin), Hugues Alard (Hayari Paris), Ilanite Attia, Isabelle Capron (Icicle), Juliette Parcevaux (Dessine-moi un soulier),  Katia Sanchez (Katia Sanchez), Lisa Gozlan (Jonak), Marie Bernet Auzou (Mansour Martin),  Nayla Voillemot (Bbuble), Sondes Jarraya (Sondes Louati Jarraya), Sophie Delaroche (Atelier Emelia).