Transformer votre modèle économique avec la pré-commande ?

Transformer votre modèle économique avec la pré-commande ?

« Incertitude », c’est le mot le plus repris par les managers des industries de la mode interviewés lors du dernier rapport BOF 2024 « State of Fashion ». Les crises climatiques et géopolitiques, ainsi que la volatilité de la consommation poussent les acteurs de la filière à la prudence.

Dans ce contexte, en quoi le modèle de la pré-commande peut-il devenir un atout indispensable de la réussite et à quel prix ?

La pré-commande est simple à mettre en place

C’est souvent la rampe de lancement privilégié par les jeunes marques.

Dans un environnement incertain, elle permet de minimiser les risques financiers en ne produisant que ce qui a été vendu. Les ventes financent la production comme pour le Wholesale.

Ce système permet d’exploiter au maximum le potentiel économique d’un produit sans être limité par des stocks achetés 6 mois à l’avance.

Faire des prévisions de vente exactes, avec une bonne répartition des quantités à la taille, même accompagné d’une IA et d’algorithmes puissants, est presque une mission impossible.

A l’argument économique s’ajoute la dimension écologique : le stock résiduel est pratiquement réduit à zéro, seuls 3 à 5% d’articles sont commandés en plus pour garantir l’échange de tailles. Pas de gaspillage avec la précommande !  Et moins de risques liés à l’ouverture d’une large gamme de tailles.

La pré-commande permet aussi de tester un produit, une innovation. En proposant un prix avantageux avant la sortie officielle il est possible d’analyser les réactions et commentaires des consommateurs pour améliorer le produit.

Inverser la veille logique de Créer – Fabriquer – Vendre – Déstocker.

Pour réussir la pré-commande il est indispensable d’avoir une  maîtrise opérationnelle de haut niveau. Les challenges sont multiples pour éviter tout retard de fabrication. Il faudra piloter la complexité logistique, assurer la proximité entre fabricants matières et confectionneurs. Pour anticiper et planifier, entretenir des relations étroites avec les fabricants est primordial.

L’approvisionnement flexible de la matière est crucial . Certains font le choix de capitaliser sur une matière récurrente, comme le fil mohair et soie de Katia Sanchez. D’autres préfèrent commander la matière en avance pour réduire les délais. Ceci entraine alors un investissement financier et une prise de risque.

Redoubler d’efforts sur la communication

Le défi est de faire patienter la clientèle (2 mois en moyenne) et la rassurer. Par exemple en partageant en direct et avec pédagogie les étapes de fabrication et de livraison.  Une communication bien exécutée renforcera l’engagement de la communauté à la marque. Elle répondra aux attentes de transparence sur le produit. Si celui-ci est livré à temps et tient toutes ses promesses, alors ce lien créé et ce sentiment d’appartenance à la marque se transformeront en puissants leviers de fidélisation.

Cette proximité entraine plus d’exigences pour la marque. L’expérience client devient primordiale pour convaincre, puis éviter la déception et les retours massifs. Il faut être en mesure de donner des informations claires et sans ambiguïté sur le produit et les politiques de retours et de remboursement. Pour éclairer sur le fitting des produits certains les présentent dans différentes tailles, photos à l’appui. D’autres comme Patine proposent l’essayage avant commande. Enfin, il vaut mieux avoir un service client réactif et disponible pendant les campagnes de lancement.

Pratiquer la pré-commande à grande échelle

Si le système est tellement vertueux, pourquoi n’y a-t-il pas plus d’entreprises de mode comme Asphalte acteur incontournable de la pré-commande en France ?

Dans une interview récente William Hauvette, le créateur d’Asphalte, explique chercher des relais de croissance. Introduire une gamme des produits permanents en stock est une des options envisagées. La marque propose ainsi des pièces en disponibilité immédiate, Les Éternels qui représentent aujourd’hui 30% du CA total.

Le modèle idéal est sans doute hybride

La pré-commande remet en question le principe fondamental de collection. L’offre est composée de produits éphémères ayant chacun une identité forte. Chaque lancement de produit est aussi important que le lancement d’une mini collection.

Pour les DNVB nées avec le modèle de pré-commande, ajouter des produits disponibles sur stock, permet d’étoffer l’offre et de développer les ventes, en gardant une bonne synergie entre ces deux propositions de produits. Elles peuvent ainsi plus facilement ouvrir un pop-up ou une boutique. Mais ce modèle reste limité pour les entreprises qui souhaitent passer à une plus grande échelle.  

Pour les marques établies la pré-commande leur permet d’explorer une alternative à un modèle classique à bout de souffle. Pour y parvenir, il faudra transformer une organisation bien rodée autour du processus classique pour la rendre plus agile et inverser le cycle. La vitesse et la qualité d’exécution sont primordiales pour la pré-commande.  

L’option la plus simple serait de faire cohabiter deux workflows et rythmes distincts : pré-commande et collection classique, qu’il faudra coordonner dans tous les métiers du produit, du marketing et de la supply chain.  

La pré-commande n’a pas encore transformé les modèles classiques, mais elle peut être une excellente opportunité pour faire évoluer les modèles traditionnels d’organisation.

Flexibilité : quels changements dans le développement des produits de mode ?

Flexibilité : quels changements dans le développement des produits de mode ?

Volatilité de la demande, perturbation des chaînes d’approvisionnement, augmentation des prix, réduction des volumes d’achat, les challenges sont nombreux pour les acteurs de la chaîne produit. Tous recherchent le modèle idéal, à la fois flexible, rapide, responsable et orienté client.

La moitié des directeurs achats de 38 entreprises de mode européennes et américaines déclarent avoir entrepris des projets de transformation importants de l’organisation de leur supply chain en 2021 (Etude McKinsey de novembre 2021 sur le sourcing des entreprises de mode). Et cela ne concerne pas que le sourcing à proprement parler, mais bien toute la chaîne de développement et d’approvisionnement du produit, de la création à la production, en passant par le développement et le marketing.

Repenser l’organisation pour compenser la dégradation des marges

La pression sur les prix va se poursuivre en 2022, les évènements en Ukraine vont sans doute aggraver la situation.

Les marques, de plus en plus nombreuses à intégrer des matières durables et responsables dans leurs collections, flexibilisent progressivement leur sourcing en relocalisant des productions en Europe et en France. Tout ceci a un coût évident.

Il n’est pas acceptable aujourd’hui de répercuter la totalité des augmentations des prix d’achat sur le prix de vente consommateur. Quelles sont alors les solutions pour éviter une dégradation des marges ?

La première étape consiste à gérer plus finement les stocks et la démarque, en augmentant par exemple la part des ventes de produits non démarqués.

Mais cela n’est pas suffisant, il est nécessaire de repenser l’organisation tout au long de la chaîne produit afin de la rendre plus flexible et réactive. L’objectif principal est d’éviter les pertes de temps et les retards au planning, les rendez-manqués avec le produit « idéal », les produits développés et abandonnés, en un mot, améliorer l’efficacité de l’organisation.

 

Préciser les rôles et responsabilité de chacun

Les équipes produit travaillent encore beaucoup trop en silo, chacune dans sa spécialité, sans tenir compte des contraintes et des limites des autres intervenants sur le produit. Par exemple un produit mis au point au Studio, envoyé au fournisseur pour une cotation sera abandonné car trop cher. Le temps manque pour proposer une alternative ou une conception différente pour réduire la consommation de matière. Une consultation anticipée du fournisseur aurait permis d’éviter cet écueil et d’aller jusqu’au bout de l’idée créative à un coût acceptable pour la marque.

Je constate bien souvent, que cela se combine avec une vision floue de la responsabilité des uns et des autres et quand un problème se présente, personne n’intervient (ou trop tard), pensant que cela relève de la responsabilité du voisin.

Tout l’enjeu est de clarifier les rôles et responsabilités de chacun pour fluidifier les processus, intégrer des espaces collaboratifs dès la création du produit et tout au long de son développement, avec toutes les parties, y compris les fournisseurs. L’objectif étant de trouver la meilleure solution créative, qui réponde aux attentes du client final à un prix et un délai acceptable.

Respect et efficacité des plannings

La recherche de flexibilité entraine une complexité plus grande dans le management de la chaîne produit : analyses de la demande et des datas plus poussées et inputs vers la création, validation d’échantillons à distance, mutualisation des matières, pre-booking, mais aussi hybridation des modes de sourcing, fractionnement des commandes, réassorts en cours de saison…la liste est longue.

Tout cela nécessite de mettre en place une forte discipline de gestion de planning en interne et avec les fournisseurs, de définir des calendriers plus détaillés et de travailler sur les chemins critiques afin de réduire les lead times.

La digitalisation de la chaîne produit côté marques, mais aussi côté fournisseurs, va permettre progressivement de maîtriser la complexité de toutes ces données.

Sortir d’une logique de marge d’entrée.

Enfin, les marques continuent à porter plus de crédit au prix d’achat et la marge d’entrée par produit qu’à la marge nette globale.

Cela veut dire que les politiques visant apporter flexibilité et rapidité en relocalisant la production ou en fractionnant les commandes se heurtent inévitablement à l’accroissement des coûts. Tout cela empêche de mettre en place sereinement une organisation pilotée par la demande.

Les stratégies de sourcing doivent intégrer dans leur mix l’ensemble des coûts liés à l’achat d’un produit comme la part de vente hors démarque et le coût du stock résiduel. La solution de production à la demande Tekyn ou le démonstrateur On Demand for Good du CETI, proposent chacun une méthode de calcul pour simuler le gain de marge final, car c’est bien d’un gain dont on parle ici !

Cela peut aussi passer par le mode de calcul de la prime sur objectifs des acheteurs et chefs de produit qui pourra prendre en compte la marge finale, le stock résiduel et la rotation de stock, comme ce que nous pratiquions chez 1.2.3 il y a plus de 20 ans !

Les freins au changement sont nombreux et l’impulsion ne peut que venir de la direction générale de l’entreprise pour accompagner les équipes dans ces changements.

L’industrie de la mode a mis du temps avant de se préoccuper des « backstages de la mode ». Les investissements se sont concentrés sur la création, le produit, l’image et la communication. Cette crise et les profonds bouleversements de marché nous montrent qu’il est temps de se préoccuper de la chaîne de développement des produits et de l’organisation de tous les métiers qui y sont rattachés (création, développement, marketing-merchandising, achat, sourcing, qualité et production) en créant des espaces collaboratifs de décision, en partageant une vision de la marge globale et pilotant plus finement les plannings. 

 

Contraintes mondiales : réinventer les modes d’approvisionnement ?

Contraintes mondiales : réinventer les modes d’approvisionnement ?

Avec la crise sanitaire, les entreprises de mode ont découvert l’importance stratégique de leur supply chain. La Chine est restée à l’arrêt pendant presque deux mois. Elle a été suivie par l’Italie, maillon essentiel dans le luxe et le haut de gamme, puis par le reste de l’Europe et le Maghreb.

Résultats : des productions à l’arrêt, des difficultés à rassembler tous les composants d’un produit pour (re)lancer les productions, des prototypages au compte-gouttes, des transports figés… 

Ainsi, plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour repenser le modèle dominant de délocalisation dans les pays à moindre coût de main-d’œuvre. Une remise en question nécessaire qui permettra d’anticiper les prochaines crises en allant vers une supply chain plus flexible, plus résiliente et moins dépendante.

1083, le choix d’une filière locale, 100% française.

Pour Thomas Huriez, président de la société 1083, cette crise valide complètement son choix stratégique : reconstruire une filière locale, de la filature à la confection, avec une production répartie entre ses propres unités et auprès d’entreprises locales. Une volonté qui fait écho à l’identité de sa marque : 1 083km, c’est la distance maximale entre les deux villes de l’hexagone, alors qu’un jean parcourt traditionnellement 65 000km du début à la fin de sa vie…  

Tous les bénéfices sont investis en R&D et pour développer une unité de recyclage de coton dans la filature maison (Tissage de France), située dans les Vosges. Le consommateur final, en renvoyant son jeans usagé, sera le dernier maillon de la supply chain, celle-ci deviendra alors circulaire.

Face à notre actualité, 1083 a d’ailleurs été l’une des premières entreprises françaises à reconvertir son outil de production pour fabriquer des masques. Ce mouvement de solidarité a permis de regrouper plus de 700 entreprises textiles françaises au sein de la plateforme « Savoir-Faire ensemble ». Un élan profitable au développement du Made in France et à la mise en place d’un travail de filière pour Marc Pradal (UFIMH, Kiplay). C’est notamment le choix de Bruno Nahan (Bugis) qui depuis 2 ans privilégie un écosystème local français et européen (limitrophe) pour une meilleure réactivité et une parfaite traçabilité de ses produits. Ainsi, en supprimant les intermédiaires, ce modèle montre qu’il est possible de fabriquer en France et d’être rentable.

Par quoi commencer ?

La relocalisation en France ou en proche import (Europe / Maghreb / Turquie) de tout ou partie de la production permet d’avoir une plus grande proximité avec ses fournisseurs, à la fois culturelle et géographique. Il est possible de leur rendre visite régulièrement et à moindres frais, de bâtir de vraies relations de partenariat, voire de codévelopper de nouveaux produits. Un process bien plus difficile et onéreux en Asie… Aussi, relocaliser c’est réduire le nombre d’intermédiaires et pouvoir retarder au maximum la prise de décision sur le produit et les quantités à acheter. C’est aussi réduire les risques liés aux fluctuations de la demande, améliorer la transparence de la chaîne d’approvisionnement et rassurer le client final. C’est sans compter que le transport est une variable plus facilement maîtrisable.

En faisant le choix de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, Thomas Huriez nous montre qu’il est important de mettre en place un réseau de fournisseurs. Ici on ne parle plus de « chaîne », mais bien d’un écosystème flexible et adaptatif en fonction des besoins et des variations du marché. Cela revient, par exemple, à mettre en place des sources de production alternatives pour les produits stratégiques afin de diminuer sa dépendance vis-à-vis de certaines sources d’approvisionnement.  Chaque entreprise, en fonction de ses niveaux de risque, peut alors travailler sur un rééquilibrage de ses sources d’approvisionnement ou une relocalisation totale, tout en diversifiant son marché fournisseur. Plus le système est complexe, plus il faudra s’appuyer sur des outils de pilotage et de travail collaboratifs, élargis à la sphère des fournisseurs, afin de pouvoir piloter et opérer en temps réel.

Enfin, repenser sa supply chain c’est aussi adapter les collections aux contraintes d’approvisionnement. 1083 a décidé de relever un défi de taille en choisissant le jean comme produit emblématique, car c’est l’un des produits les plus démocratisés aujourd’hui… mais aussi le plus polluant ! Le délavage laser permet de réduire considérablement l’impact environnemental, mais limite aussi la gamme de délavage, du brut à l’indigo. Un choix qui ne l’empêche pas de développer son chiffre d’affaires et sa communauté de fans, et un exemple qui nous montre que travailler dans la frugalité et sous la contrainte pousse à toujours plus innover et à s’adapter en permanence

 En faisant le choix de relocaliser sans pour autant répercuter l’augmentation du coût de la main-d’œuvre sur le prix de vente, les entreprises doivent travailler sur l’analyse de la valeur de leurs produits, et faire des choix, sans perdre en attractivité et en créativité. Bien souvent, cela passe par un travail de fond sur la matière première et sa consommation, pour éviter les gaspillages, mais aussi sur la structure des prix de vente.

Un pas après l’autre

Vous l’aurez compris, même si la volonté est là, la question de la relocalisation et de son coût en freine plus d’un. Pour avancer, il est donc important de bien faire la différence entre le prix d’achat et le coût d’acquisition. Car c’est bien une vision à long terme qui doit s’imposer, même si les premières solutions à trouver sont à très court terme pour assurer la reprise de l’activité tout en préservant la trésorerie.

Pourquoi rompre avec les calendriers traditionnels des collections ?

Pourquoi rompre avec les calendriers traditionnels des collections ?

Le monde de la mode est en pleine ébullition. A l’heure de la première Fashion Week virtuelle et alors que le Covid a décalé le tempo des collections, beaucoup de décideurs s’accordent à dire qu’il est urgent de réinventer les calendriers de collection.

D’un côté, et à l’image des marques « digital native », il est urgent d’apporter plus de flexibilité et d’agilité aux entreprises de mode, pour qu’elles s’adaptent au plus juste à leur marché et aux incertitudes liées à l’évolution de la demande. Les collections ne peuvent plus être développées et achetées en un bloc, un an et demi à l’avance, le risque financier est trop important.

D’un autre côté, certains veulent ralentir le rythme effréné des collections et pré-collections implantées toujours plus tôt dans le but d’apporter encore plus de nouveauté : avoir plus de temps pour créer et donner du sens, allonger le temps de mise en vente des collections pour qu’elles soient plus visibles, proposer des produits dans leur juste saisonnalité.

Le calendrier des collections devient un véritable enjeu pour les entreprises de mode, il est un des maillons essentiels des stratégies de (re)déploiement.

Comment le calendrier du projet Moncler Genius a transformé l’entreprise Moncler 

Fin 2017, Remo Ruffini décide de casser le cycle traditionnel de la mode basé sur deux grandes présentations annuelles aux Fashion Weeks et met en place un collectif de huit designers travaillant chacun sur une capsule. Ces capsules sont délivrées à un rythme régulier, environ une fois par mois.

L’objectif est double :

  • Faire parler de la marque Moncler tout au long de l’année, et pas seulement pendant les Fashion Weeks. A chaque lancement de capsule un évènement riche en contenu éditorial est organisé, sous la houlette du designer qui prolonge ainsi son travail créatif.
  • Cibler avec chaque capsule un public différent en âge, goûts, style et occasion de consommation

Mettre en place ce nouveau calendrier de collection Genius a été un véritable succès pour l’entreprise qui a amélioré significativement ses résultats financiers en 2018 : CA de 1,4 milliards d’euros, +19% à périmètre constant, Ebitda en hausse.

Moncler Genius ne génère « que » 10% du chiffre d’affaires global, le reste étant réalisé par la gamme classique. Ce nouveau modèle a permis de faire parler régulièrement et différemment de la marque et de développer l’attractivité de Moncler auprès de nouveaux publics : 50% des consommateurs de Genius sont de nouveaux consommateurs.

A travers ce projet, l’entreprise a été transformée : elle a développé une nouvelle dynamique collaborative et a amélioré son agilité opérationnelle :

  • Le calendrier de « drops » est précis, des évènements importants sont organisés pour chaque lancement, dans le monde entier : le fonctionnement de la supply chain a été modifié pour assurer avec précision la livraison de tous les produits à une même date.
  • Décevoir le client qui attend avec impatience la nouveauté n’est pas envisageable : tous les services – achats tissus, production, marketing, commercial, retail – ont dû travailler ensemble et coordonner leurs actions.
  • Les demandes des designers, en développant des produits plus techniques, ont poussé les équipes à rechercher de nouvelles matières, de nouveaux savoir-faire, ce qui a élevé le niveau général d’exigence sur les produits.

Fragmenter l’offre

Remo Ruffini décide avec le projet Genius de fragmenter une partie de l’offre en capsules, afin d’apporter tous les mois de la nouveauté et de susciter l’intérêt des consommateurs.

Accélérer la mise sur le marché des produits nécessite de réinventer le calendrier de l’offre en séparant la partie « collection » de la partie « capsule » et définir, à chaque fois, le nombre de modèles concernés, la cible et la temporalité visées.

Pour beaucoup d’acteurs du secteur, l’introduction de capsules s’accompagne également d’une réduction des engagements d’achat décidés un an à six mois avant la mise sur le marché. Les achats des capsules seront échelonnés dans le temps et pour une part, réalisés après le démarrage de la collection. Cette méthode permet de garder une flexibilité en fonction des aléas du marché, elle a un véritable impact sur le BFR.

Réduire la part des produits soldés est également visé par ce type de dispositif. Les produits capsules seront achetés en petites quantité, adaptées aux périodes de vente prévues, afin de renforcer leur côté éphémère.

Pour les DNVB, fragmenter l’offre et la développer au fil du temps en fonctions des envies des créatifs mais surtout de celles des clients fait partie intégrante du business model.

Travailler deux temporalités dans la collection

En lançant Genius, Remo Ruffini conserve les gammes de produits historiques de la marque. On constate que l’évolution du chiffre d’affaires se fait principalement sur cette part classique de la collection qui bénéficie d’un nouvel attrait.

Il est possible de travailler deux temporalités dans les collections : collection et capsules, produits essentiels et produits mode, intemporel et temporel. Le calendrier de collection est ainsi à deux vitesses : une vision saison, voire au-delà de la saison pour les intemporels, et une vision à très court terme pour coller au plus près à la demande et travailler une différentiation forte.

Mettre en place une organisation agile et mixte permettra de travailler à ces deux rythmes en toute sérénité : Equipes dédiées ou pluridisciplinaires, retroplannings affinés, cadrages de collection et budgétaires précis et actualisés en permanence, doubles sourcings… Il est indispensable de définir une feuille de route claire avec une vision à long terme et des jalons identifiés de tous.

A ce stade les outils collaboratifs digitaux aussi bien internes que ceux ouverts aux partenaires externes sont primordiaux pour gérer cette complexité : accès immédiat aux données produit, vision globale des flux de création et de mise au point de produits., échanges fluides entre amont et aval de la chaîne produit, amélioration de la communication avec les usines et les fournisseurs.

Développer une vision à long terme au-delà de la saison

Vouloir raccourcir les délais de mise sur le marché des produits n’empêche pas les entreprises de mode de travailler leur collection également sur le long terme.

Les sujets d’innovation ou de développement durable nécessitent une vision qui va au-delà de la saison, ici les calendriers sont plus souvent à moyen ou long terme.

« Beaucoup de marques ont du mal à casser le temps des collections pour le temps de la RSE » explique Nathalie Lebas-Vautier, l’entrepreneure – dirigeante de Good Fabric :  auditer une filière de production prend du temps, s’engager avec des partenaires fabricants nécessite de donner des prévisions sur plusieurs saisons ou années, développer une nouvelle matière nécessite le temps de la R&D.

D’ailleurs, bien souvent ces démarches sont mises en route de façon progressive et s’accompagnent de beaucoup de pédagogie et de formation.

A chacun son modèle hybride

Chaque entreprise de mode trouvera son propre modèle hybride et flexible entre réactivité à court terme guidée par la demande, collection saisonnière identitaire et produits essentiels dessaisonalisés.

Mais ce n’est pas parce qu’elle met un place un nouveau calendrier de collection, intégrant à la fois court terme et moyen/long terme qu’elle en devient de facto plus flexible et réactive.  Réinventer les calendriers est un véritable projet d’entreprise qui implique d’insuffler des nouveaux modes opératoires, de faire travailler ensemble tous les métiers, d’accélérer la prise de décision en la décentralisant, … tout en préservant le temps incompressible de la création.

Pourquoi mettre en place une organisation orientée Time to Market ?

Pourquoi mettre en place une organisation orientée Time to Market ?

Une étude réalisée par l’Institut Français de la Mode fin 2019 révélait que 42% des français ont acheté moins de vêtements sur l’année écoulée et que 37% des marques indiquaient vouloir réduire leurs volumes d’approvisionnements durant l’année en cours. La crise n’a fait qu’accentuer ce mouvement de fond. Plus que jamais, les marques de l’industrie textile mettent à jour leurs pratiques de collection et d’approvisionnement. Objectifs ? Parvenir à atteindre une consommation et une production plus raisonnées et répondre à une forte attente des consommateurs en ce sens.

La fin de la fast fashion

Le secteur de l’industrie textile connaît un vrai bouleversement. Et le confinement n’a fait qu’accélérer le phénomène. Face à un enjeu économique de taille, les marques en profitent pour affirmer leur désir d’adopter une démarche écoresponsable en réduisant significativement les quantités produites et en rapprochant les sites de fabrication au plus près des consommateurs finaux.

Il n’y a plus de doute, nous sommes à l’aube de la fin de l’ère de la fast fashion.

Fini la destruction d’invendus, finis les stocks à outrance, fini les mille et une collections par an.

Les modèles « classiques » sont à bout de souffle, la diminution du taux d’écoulement avant soldes, souvent inférieur à 60%, est un point d’alerte selon l’étude Kéa – Ifm de 2020. Il est temps de ré-inventer les modèles. Mais diminuer les commandes en gardant la même structure d’approvisionnement, ne résoudra pas le problème. Il est urgent de trouver des solutions plus flexibles, de réduire le « time to market » des produits et de ne plus raisonner uniquement en marge d’entrée, mais bien en rentabilité globale.

C’est ce qu’on bien compris les nouvelles marques comme les DNVB, qui font preuve de beaucoup de créativité dans les initiatives prises. En effet, déjà conscientes du tournant qui se joue sur ce marché, ces dernières priorisent une production de proximité, et même 100% française.

Un tournant à prendre

Si, dans l’industrie textile, les consommateurs ont soif de nouveautés, ils sont aussi en attente de produits plus durables. Pour les marques, cela implique d’aller vers des produits de meilleure qualité, des matières adaptées aux usages, un style intemporel : un vrai retour aux basiques.  

Et si l’on s’inspire des marques déjà pionnières sur la question, des décisions sont à prendre rapidement pour retarder la décision sur les produits en fractionnant les collections notamment et en panachant collections entre long et court terme. À condition, en parallèle, d’avoir la capacité d’interagir avec le marché, de lancer des petites séries test et de (re)produire en fonction de la réaction du marché.  Cette approche « Test & Repeat » repose sur une organisation interne agile et une une supply chain réactive, basée sur des partenariats fournisseurs et un engagement sur la matière.

C’est sur ce modèle que s’est développée la start’up Tekyn qui propose une technologie de facilitation de confection (préparation de kits de montage dans un tech center 100% automatisé) et un outil de gestion centralisé sur une plateforme web. 

Asphalte fait partie des marques qui ont révolutionné le secteur de la mode. Avec son business model basé sur la production à la demande, Asphalte s’est fait particulièrement remarquer durant le confinement. En lançant en pré-vente un T shirt à 29€, l’entreprise a largement dépassé ses objectifs de vente : 42 000 pièces vendues pour 15 000 estimées ! La production à la demande permet d’ajuster les commandes fournisseurs à la demande réelle des clients. Le challenge est alors de rassurer le client et de lui faire accepter de patienter jusqu’à la livraison du produit.

Un changement de modèle

Ainsi vous l’aurez compris, bien plus qu’une tendance il s’agit aujourd’hui d’aller vers un profond changement des pratiques. Si le risque économique est grand pour ceux qui ne n’évolueraient pas en ce sens, il l’est davantage sur un plan environnemental. La crise que nous traversons doit ainsi représenter une opportunité pour toute marque de l’industrie textile. Il s’agit donc de s’en emparer pour, dès demain, mieux répondre aux attentes du consommateur ainsi qu’aux évolutions et aléas du marché. Pour la marque et vis-à-vis de la concurrence, c’est la promesse du développement d’un avantage compétitif significatif, une amélioration du chiffre d’affaires, du BFR et plus de rentabilité.

Développement de collection : pourquoi donner une place de choix aux basiques ?

Développement de collection : pourquoi donner une place de choix aux basiques ?

Pour beaucoup d’entreprises de la mode, la crise du Covid touche trois collections : la collection Printemps-Eté 2020 tout juste mise en vente, la collection Automne-Hiver 2020 partiellement livrée, la collection Printemps-Été 2021 en cours d’élaboration… Face à tant d’incertitudes sur l’évolution de la demande, le niveau des stocks ainsi que les tensions de trésorerie, il semble que pour le secteur, il ne soit plus possible de « faire comme avant », autrement dit, de développer les prochaines collections à partir d’une page blanche sans cesse renouvelée.

AMI : le choix d’une mode réaliste pour redémarrer sereinement

Le créateur de la marque AMI, Alexandre Mattiussi, confiait au journal Le Monde ne pas être inquiet quant à la reprise suite à la crise du coronavirus, et ce, malgré les vulnérabilités évidentes sur le plan économique qui sont à prévoir. En effet, celui qui fêtait il y a peu les 9 ans de sa marque opère depuis le début avec la même exigence : celle d’une démarche sincère vis-à-vis de son client final. Ainsi, tous ses produits sont étudiés pour être confortables et élégants, faciles à porter, à un prix accessible (positionné entre le mass market et le luxe). 

La collection s’articule autour de produits basiques, presque intemporels, actualisés subtilement par un détail, une couleur, une matière ou une proportion. Les tissus fantaisie sont rares, seulement quelques rayures, carreaux ou imprimés graphiques. De ce fait, la production est facilitée et plus simple à assurer que pour des produits plus complexes. Elle est réalisée principalement au Portugal et en Europe de l’Est et semble peu menacée par la crise actuelle. La seule modification pour les prochaines collections sera la fusion entre la pré-collection et la collection Printemps-Été 2021. Une décision de bon sens dans le contexte actuel et qui va permettre de rationaliser les efforts des équipes de création et de développement.

Cet exemple nous montre que, dans le contexte actuel, l’entreprise a su rester agile. Le choix de rationaliser le développement produit permet en effet de ne pas s’éparpiller en termes de création et de conserver la même ligne donnant une grille d’évaluation simple et exigeante au produit : simplicité, accessibilité, confort et modernité. De ce fait, AMI a su construire avec sa clientèle un vrai rapport de confiance au cours de ces 9 années. Des faits qui peuvent nous laisser supposer qu’il y aura peu d’incertitude sur les changements de comportement du consommateur à la reprise, car, même si la prochaine collection apportera de la nouveauté, elle restera toujours accessible et fidèle à ses valeurs. 

Aussi, à la suite d’échanges auprès d’autres marques du secteur, nous retrouvons cette ligne commune.

  • Jonak, par exemple, mise sur la prudence et le recentrage vers des produits raisonnables et essentiels pour les prochaines saisons.
  • Maison Standards qui développe des produits classiques et indémodable, au prix juste, espère une prise de conscience générale pour que les offres des marques évoluent dans le même sens : des prix justes et des produits de qualité.
  • Icicle, marque de luxe confortable, décontractée et chic, mise quant à elle sur son laboratoire de R&D pour mettre au point des matières éco-conçues, naturelles et durables.
  • Enfin Dualist, la jeune marque de parkas haut de gamme réversible et légère, a fait le choix de développer un seul produit décliné en plusieurs variantes : un vrai pari !  

Ces projets nous montrent que nous assistons en ce moment à une vraie tendance de simplification des collections basées sur des standards de mode. L’essentiel est dans la qualité, la justesse des lignes et le confort. C’est en quelque sorte, le contre-courant de la mode !

Identifier les produits intemporels et leur poids dans la collection.

Aussi, il est indispensable aujourd’hui de bien définir dans une collection ce qu’on appelle les intemporels, les basiques, les essentiels, les permanents, les « timeless ». Autant de termes pour définir ces produits qui constituent l’ADN de la marque et dont le volume varie d’une marque à l’autre. Il faut donc, comme l’a fait AMI, construire sa propre grille de lecture et y rester fidèle.

Les intemporels ont de nombreux avantages… Ils peuvent s’affranchir de la saisonnalité et donc, pour certains, être déplacés dans les prochaines collections, sans être soumis aux démarques. De même, ils peuvent être travaillés indépendamment de la collection en termes de timing, ce qui permet de lisser l’activité déjà intense des équipes. Ils font l’objet de partenariats solides avec les fournisseurs. Dans le cas de la marque AMI, la production se fait principalement en Europe. Cette proximité permet de sécuriser les approvisionnements en période de crise et apporte également plus de flexibilité pour la reprise.

De plus, bien connaître ses basiques et accepter de les retravailler d’une saison sur l’autre, permet aussi de recycler des stocks dormants de tissus (ou des tissus issus de commandes stoppées au démarrage de la crise), afin de ménager la trésorerie et de ne pas avoir de nouvelles matières à acheter.  

En période de crise, ce sont des « produits repères » pour les clients : ils rassurent et permettent de renforcer la relation avec la marque.

Se donner le temps de faire autrement

Enfin, en fusionnant la pré collection et la collection PE21, AMI fait le choix de réduire son offre vis-à-vis de ses acheteurs et de se donner plus de temps pour créer la nouvelle collection. Cette décision permet de rationaliser le développement de collection pour travailler plus en profondeur les produits. Cela permet aussi de prendre le pouls du marché post-confinement…

De même la créatrice Katia Sanchez, co-fondatrice Des Petits Hauts, revendique aujourd’hui avec sa marque Katia Sanchez, le développement d’un produit de qualité, s’inscrivant dans une démarche maîtrisée d’éco-conception. Les produits sont conçus pour durer au-delà des saisons.  En effet, cette course à la nouveauté initiée par la fast fashion a poussé les entreprises à multiplier les collections capsules, les collaborations et mini-collections. La situation actuelle où tout est à l’arrêt (ou presque) nous invite à davantage nous concentrer sur l’essentiel. Et si le moment était venu de faire un pas de côté quitte à prendre certains risques ?

Post-confinement : redonnons du sens à ce que nous portons

Vous l’aurez compris, toutes les marques de mode, quel que soit leur niveau de gamme, ont besoin de basiques ou intemporels dans leur collection. Ces produits doivent ainsi retrouver une place de choix dans les collections. Parfois mal-aimés par les équipes créatives, ils requièrent un travail en profondeur pour atteindre l’équilibre entre mode et fonctionnalité et pour pouvoir s’associer avec tous les produits de la collection : ils donnent du sens à la collection ! Et à l’heure où nous vivons une crise pleine d’incertitudes, ce retour aux sources semble essentiel et surtout, attendu.

Un grand merci aux professionnels qui ont apporté leur expérience et leur point de vue, ainsi que leur temps précieux : Agathe Cuvelier (Les Cachotières), Alexandra Mulliez (Adresse), Anne Anquetin (Passementerie Verrier Paris), Arpénik Movsisyan (Arni Arpe), Christine Feuchot (Maison Standards), Déborah Janicek (Dualist), Fabrice Vigano-Géry (F.Pinet), Fanny Airault (Gang of Earlybirds), Guillaume Gaveriaux (Maison Urbahia), Hélène Deparis (Gayaskin), Hugues Alard (Hayari Paris), Ilanite Attia, Isabelle Capron (Icicle), Juliette Parcevaux (Dessine-moi un soulier),  Katia Sanchez (Katia Sanchez), Lisa Gozlan (Jonak), Marie Bernet Auzou (Mansour Martin),  Nayla Voillemot (Bbuble), Sondes Jarraya (Sondes Louati Jarraya), Sophie Delaroche (Atelier Emelia).